Litiges aériens : vers une résolution sans les tribunaux ? (08/10/2024)
Engorgés les tribunaux cherchent une solution
Les tribunaux de commerce, notamment celui de Bobigny, croulent sous une masse effarante de dossiers entre les compagnies aériennes et les voyageurs. Un retard non dédommagé, une jambe cassée en sortant de l’appareil… les raisons de saisir la justice française pour obtenir gain de cause se multiplient au grand dam des juges et des personnels débordés. La solution semble toute trouvée, mais elle ne ravit pas les avocats…
Le covid a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase des juges consulaires.
Avec la crise sanitaire, les compagnies ariennes ont, pour certaines, contourné ou pris quelques libertés avec la loi, afin de ménager leurs trésoreries exsangues. Cette initiative a créé un afflux de litiges que la justice a dû gérer, jusqu’à l’excès.
La situation est telle que les tribunaux judiciaires engorgés, les cabinets d’avocats des entreprises spécialisées dans les recouvrements aériens ont commencé à faire subir le même tsunami aux chambres de commerce.
A Bobigny, l’instance croule sous les dossiers.
En 2022, Le Parisien avançait le chiffre de 11 500 procédures en attente. Depuis, le tribunal judiciaire de Paris, en format proximité, consacre à la questions des après-midis entières.
Et en cas de demande de report, le délai peut atteindre près de 9 mois, pour des indemnisations en jeu de 400 ou 600 euros (par passager), nous explique en off un membre du barreau.
Des procès pour des non-remboursements de vols annulés durant la crise sanitaire, ont encore lieu en ce moment même.
Si la balance penche toujours dangereusement, une parade semble se profiler.
our désengorger des instances qui font aussi face actuellement aux difficultés grandissantes des entreprises françaises, la solution miracle ne serait autre que… la médiation.
Une réponse qui ne va pas plaire aux avocats spécialisés dans les recouvrements et les traitements des contestations opposant les voyageurs aux compagnies aériennes.
Forte d’une vingtaine de salariés, la Médiation Tourisme et Voyage (MTV) gère pas moins de 18 000 dossiers par an, dont 63% opposent un agent de voyages et un client au sujet de l’aérien.
Pour l’heure, l’entité n’a qu’un rôle de conciliation BtoC. Elle émet des avis, non obligatoires « en forme de réponse au préjudice, des avis qui sont suivis dans 98% des cas, » rappelle Jean-Pierre Mas.
Le reste se joue au tribunal qui, dans la grande majorité des cas, suit lui-aussi la recommandation de la médiation. Nous parlons là des problèmes touchant les voyages à forfait.
Les litiges en rapport avec des vols secs sont ceux qui encombrent le plus les tribunaux français, notamment à Paris et Bobigny.
« La chancellerie envisage de rendre la médiation obligatoire, quel que soit le litige, donc le consommateur ne pourra recourir à un tribunal que s’il est passé en premier lieu par l’intermédiaire d’un médiateur.
Les officines qui gagnent leur vie en reprenant les coordonnées de tous les voyageurs ayant subi le retard d’un vol, appréhendent cette mise en place, » a annoncé lors du dernier congrès des EDV Ile-de-France, Jean-Pierre Mas, le médiateur en chef de l’instance.
A bien y regarder, ce ne serait pas seulement le ministère de la Justice qui en aurait pris l’initiative.
Un cercle de réflexion a été créé par la Cour d’appel de Paris, dont dépendent les tribunaux judiciaires de Bobigny et de la Capitale. Ces derniers sont littéralement débordés.
Différents avocats et la MTV se sont joints à ce petit groupe, pour explorer les pistes potentielles.
La médiation a alors levé le doigt pour proposer un canal à la marée de dossiers. Pour l’heure, rien n’est totalement acté, l’option est sur la table. Il sera nécessaire d’opérer quelques changements des textes de loi, pour que la MTV devienne une véritable solution.
« Ce n’est pas pour maintenant, il faudra sans doute attendre quelques mois ou années, » tempère Jean-PIerre mas.
Il existe deux écueils à ce projet qui coule pourtant de source.
Tout d’abord, la médiation ne peut être saisie que si la compagnie aérienne en est membre. Malheureusement, la plupart des cas qui remontent aux tribunaux sont ceux des transporteurs low cost et étrangers… L’arbitre ne pourra dans ce cas faire grand-chose.
Ce serait donc un pansement sur une jambe de bois.
Deuxième point : pour désengorger les juridictions une parade a été trouvée. Dans tous les litiges inférieurs à 5 000 euros et quel que soit le sujet, le justiciable devra recourir à une tentative de règlement amiable obligatoire des conflits.
Comme les compagnies sont malignes et ne veulent pas tenter le diable, ni engager trop de frais, les affaires litigieuses n’excèdent que très rarement ce montant.
Les recours à un mode alternatif (conciliation, médiation, procédure participative, audience de règlement amiable) de règlement des différends ont été appliquées pendant plusieurs années, avant d’être suspendue.
Tout le monde recourt déjà à la conciliation, car la défense peut brandir cette obligation redevenue obligatoire.
Qu’est-ce qui cloche alors ?
« Le problème actuel vient du fait que la Médiation de consommation, la nôtre, n’est pas spécifiquement mentionnée aujourd’hui. Le texte fait référence à la médiation judiciaire.
Ce sera donc le sens de l’évolution de la législation, » nous précise Khalid El Wardi, son secrétaire général.
L’idée ferait son chemin chez les juges, il reste à établir une communication entre le ministère de l’Economie, dont dépend la MTV et le ministère de la Justice.
Une fois les textes de loi modifiés, la MTV devra alors se staffer en conséquence, pour ingurgiter la somme de dossiers supplémentaires.
D’ailleurs la première mission de Jean-Pierre Mas en tant que médiateur a été de remettre de l’ordre dans la maison et surtout d’épurer les dossiers découlant du covid.
Cela sera chose faite d’ici à la fin de l’année 2024.
Ce n’est pas l’unique chantier de l’ancien président des Entreprises du Voyage qui aimerait d’ici le début de l’année 2025, s’attaquer aussi aux litiges BtoB.
Jusque-là, la MTV n’intervenait que pour donner des avis aux problèmes entre les professionnels et les voyageurs, les premiers réglant la facture de 150 euros.
Dans quelques mois, la MTV se chargera aussi de désamorcer les conflits entre les acteurs entre eux. Il sera nécessaire que les deux parties la saisissent, ce sera la condition.
Et pour revenir à l’activité première et donc BtoC de l’instance, les agences de voyages physiques ne représentent pas le coeur de son activité, loin de là.
« Le voyage à forfait pèse 20% des cas, le reste touche l’hôtellerie et le transport terrestre. Mais 71% des dossiers concernent les ventes en ligne, donc n’ayant pas recours à un professionnel.
Elles ouvrent plus facilement la contestation, car il n’y a pas un échange entre individus qui évite une incompréhension, des ambigüités et comme c’est très souvent le cas, une erreur commise par le consommateur lui même.
Dans 52 % des cas, nous donnons raison aux professionnels, le reste des dossiers, nous demandons de dédommager ou d’augmenter la somme, » explique Jean-Pierre Mas.
D’ailleurs il conseille de tout faire pour éviter de passer devant la médiation. Et pour cela, il explique des règles très simples, comme de répondre aux clients quand ils réclament quelque chose et en cas de problème.
Le retour doit être clair, structuré et doit mentionner l’existence du médiateur.
De même la rédaction du contrat de voyage doit être sans équivoque, et les informations précises, mentionnant les indications au sujet des visas.